« Chaque groupe est ainsi prédestiné à certaines tâches et cela, non en fonction de ses compétences réelles, mais semble-t-il uniquement en fonction de son origine, origine qui lui attribue une compétence supposée, l’empêchant ainsi de pouvoir occuper un autre positionnement au sein de ce système organisé de domination raciste. L’analyse de ce système pyramidal au sein du chantier[…] permet de caractériser l’existence d’une discrimination systémique en termes de rémunération, d’affectation, d’évolution professionnelle à l’égard de ces 25 travailleurs maliens en situation irrégulière employés par la société […], cantonnés aux métiers les plus pénibles de manœuvres et aux tâches les plus ingrates; […] Le contexte de discrimination systémique en lien avec l’origine décrit ci-dessus, auquel est venu s’ajouter en l’espèce le fait que les salariés se trouvaient en situation irrégulière au regard du droit au séjour et au travail, a conduit l’employeur à violer délibérément ses obligations, niant aux travailleurs concernés l’ensemble de leurs droits légaux et conventionnels. »

(Conseil de prud’hommes de Paris, 17 décembre 2019, n° RG F 17/10051)

Le Conseil de prud’hommes de Paris a rendu une décision aussi heureuse qu’audacieuse en reconnaissant la notion de « discrimination raciale et systémique » au bénéfice de 25 salariés maliens en situation irrégulière, œuvrant dans le secteur du BTP et victimes de travail dissimulé.

Ces salariés ont saisi la justice après avoir été en grève à la suite de deux accidents de travail, dont un grave pour lequel l’employeur avait même refusé d’appeler les secours !

L’Inspection du travail avait été saisie dans ce dossier. L’action en justice de ces salariés a été soutenue par la CGT et le Défenseur des droits.

Ainsi que l’a rappelé le Défenseur des Droits dans ses observations, le concept de discrimination systémique fait référence à un « système », c’est-à-dire un ordre établi:  

« le concept de discrimination systémique permet d’appréhender la discrimination de manière intersectionnelle, au-delà de la somme des situations individuelles », et que « se révèlent ainsi les raisons pour lesquelles un groupe d’individus peut être particulièrement défavorisé par rapport à un autre, sur la base d’inégalités sociales fondées sur des stéréotypes récurrents et des rapports de domination».

Les juges ont pris soin de préciser que la loi relative à la lutte contre les discriminations ne saurait exclure les personnes en situation irrégulière et les priver de tout droit légal et conventionnel, d’autant moins que ces personnes font déjà l’objet de situations de travail précaires en raison de leur vulnérabilité.

Jusqu’à présent, le concept de « discrimination systémique » n’existait pas explicitement en droit français : c’est donc la première fois que des juges l’ont mobilisé comme fondement juridique pour caractériser une discrimination.