A deux reprises, la Cour d’appel de Grenoble a choisi d’écarter le barème Macron.  

La première affaire (CA Grenoble, 16 mars 2023, n°RG 21/02048) concerne une salariée, réceptionniste polyvalente avec 8 ans d’ancienneté, ayant saisi le conseil de prud’hommes d’une action en résiliation judiciaire. Entre temps, elle a été licenciée pour inaptitude. La Conseil de prud’hommes a prononcé la résiliation judiciaire, laquelle a produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Au titre de l’article L.1235-3 du Code du travail, et sur les préconisations de la Cour de cassation, la Cour d’appel aurait dû appliquer le barème limitant l’indemnisation correspondant à l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.

Courageusement, la Cour d’appel de Grenoble a cependant écarté l’application du barème sur le fondement de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale de travail. L’application de l’article 10 de la Convention nº 158 de l’OIT entraîne une obligation particulière : il faut examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du barème Macron, de façon à s’assurer que les paramètres d’indemnisation prévus permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi. Cette évaluation régulière n’ayant pas été réalisée depuis le 24 septembre 2017, date d’entrée en vigueur du barème, ce dernier est « purement et simplement » écarté. En l’espèce, l’arrêt met également en exergue le fait que la salariée, âgée de 57 ans au jour de son licenciement, éprouvait manifestement des difficultés sérieuses à retrouver un emploi stable et un niveau de rémunération équivalent. Par conséquent, l’indemnisation prévue par le barème Macron a été jugée insuffisante et a été écartée par les juges du fond.

La seconde affaire (CA Grenoble, 22 juin 2023, n° RG 21/03352) concerne un salarié ayant signé une convention tripartite avec l’établissement public Pôle emploi et une société, dans le cadre d’une action de formation préalable à un recrutement (AFPR). A la fin de la formation, la société a refusé d’embaucher le salarié. Le salarié a contesté cette fin de contrat, en estimant que la convention AFPR devrait être requalifiée en contrat de travail et, par conséquent, la rupture de la convention en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel de Grenoble a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et a, de nouveau, écarté le barème Macron. Le raisonnement est légèrement différent par rapport à l’arrêt précédent. Il se base notamment sur le non-respect de l’article 24 de la Charte sociale européenne que la Cour d’appel considère comme étant d’applicabilité directe : « les barèmes énoncés à l’article L 1235-3 du code du travail sont manifestement contraires à l’article 24 de la Charte sociale européenne en ce qu’ils ne permettent pas, ainsi que l’a indiqué à plusieurs reprises le Comité des droits sociaux, une indemnisation adéquate du salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans toutes les situations eu égard aux plafonds instaurés en fonction de l’ancienneté et du salaire, particulièrement faibles pour les anciennetés les moins élevées. » Cet arrêt critique ainsi un point central du dispositif de barémisation : les indemnités sont particulièrement faibles pour les salariés qui n’ont pas une ancienneté importante.

En appliquant le barème dans ce cas précis, le salarié n’aurait droit qu’à un mois de salaire, au maximum. La Cour d’appel de Grenoble a jugé que cette indemnisation n’est pas adéquate pour réparer le préjudice subi par le salarié du fait de la perte injustifiée de l’emploi, nonobstant la durée réduite de la relation contractuelle.

Selon les juges du fond, il faut apprécier souverainement les éléments du préjudice, tout en prenant en compte la situation du salarié : en l’espèce, le salarié était âgé de 59 ans, dans une démarche de reconversion professionnelle (interrompue de façon injustifiée) et avec des perspectives de retour à l’emploi obérées.  Pour le juge grenoblois, le barème Macron doit être écarté.

En conclusion, bien que la Cour de cassation continue à appliquer le barème Macron (récemment Cass.soc. 1 février 2023, n° 21-21.011), le débat est loin d’être clos pour certains juges du fond qui optent pour l’appréciation in concreto… Les pistes offertes par la Cour d’appel de Grenoble méritent d’être approfondies et poursuivies. Il n’est en effet pas entendable de limiter l’indemnisation de salariés victimes de licenciements abusifs en fonction de leur seule ancienneté.

Affaire à suivre !