GUIDE PRATIQUE : Comment faire face au suicide d’un salarié ?
Étude de Barbara Gallauziaux
Avant la survenance d’un accident
Par anticipation, il est préférable de définir une cellule de crise au sein de l’entreprise, qui coordonnera les actions à mener rapidement en cas de suicide d’un salarié. Cela prend la forme d’un « protocole » ; un document qui doit être identifiable et repérable dans l’entreprise.
Cette cellule de crise se compose de plusieurs personnes, parmi lesquelles par exemple l’employeur ou l’un de ses représentants, le médecin / l’infirmière du travail, un membre du CSE (membre de la CSSCT si existante), et le psychologue ou psychiatre de l’entreprise, si existant.
La personne à contacter pour déclencher la cellule de crise doit être identifiable.
Lors de la survenance d’un suicide ou d’une tentative de suicide
- Déclencher la cellule psychologique si elle existe, ou en mettre une en place.
La mise en place d’une cellule psychologique permettra aux salariés d’extérioriser leurs émotions vis-à-vis de l’évènement, mais également de limiter le risque de sur-accident.
Cas particulier : Lorsque le suicide se produit sur le lieu de travail
En cas de suicide ou de tentative de suicide sur le lieu de travail, il faut appeler les secours dans les plus brefs délais et porter à la victime les gestes de premiers secours.
Il faut ensuite éviter les attroupements autour de la victime:
- D’une part, il faut absolument préserver la dignité de la victime en protégeant visuellement la scène avec n’importe quels éléments disponibles dans l’entreprise (draps tendus, tables, planches…) ;
- D’autre part, afin d’éviter là-encore le risque de sur-accident, il faut éloigner les autres salariés de la scène.
Le rôle de la cellule de crise peut alors se révéler très important dans les premières minutes de la survenance d’un tel drame. En effet, elle permettra aux membres qui la composent de s’organiser rapidement et efficacement, afin de protéger au mieux la victime, les témoins et les autres salariés, tout en prenant garde de ne pas entraver le lieu de l’accident aux secours et, par la suite, aux enquêteurs.
Annonce du suicide
Deux types d’annonces sont à distinguer :
- Annonce aux collègues proches, dits « de proximité »
Cette catégorie de salariés proches de la victime peut comprendre :
– les collègues directs et/ou fréquents du salarié victime ;
– les collègues amis du salarié victime
Cette annonce doit se faire oralement par un membre de la Direction ou un responsable hiérarchique du salarié, dans une salle adaptée (éviter si possible les lieux des postes de travail, la salle de pause…). Cette annonce orale et encadrée souligne et reconnait la gravité de l’évènement.
- Annonce aux autres salariés
Un membre de la Direction devra ensuite annoncer l’évènement à l’ensemble des salariés. Cette annonce ne doit en aucun cas mentionner les causes éventuelles du passage à l’acte du salarié.
Toujours dans un souci d’humanisation et afin de reconnaitre la particulière gravité de ce drame, les membres de la Direction doivent éviter de recourir à l’envoi d’e-mails pour communiquer sur l’évènement.
Ainsi, il faudra privilégier au maximum une communication orale voire écrite, notamment avec la diffusion d’une note d’information à destination de la communauté des salariés.
Après l’accident
Dans un second temps, il sera très important de soutenir les salariés. Cela peut se traduire par le soutien de la victime elle-même en cas de tentative de suicide, mais aussi par le soutien de l’ensemble des autres salariés – tout particulièrement les éventuels témoins de l’évènement ainsi que les collègues proches de la victime.
Ainsi, il est recommandé de mettre en place, par exemple, un suivi psychologique individuel et collectif dans l’entreprise, assuré par un professionnel extérieur à l’entreprise.
Enfin, en cas de tentative de suicide, il faudra éventuellement préparer le retour au travail du salarié victime (à court ou moyen terme, selon les circonstances).
Les enquêtes
Le CSE peut ensuite se réunir, lors d’une réunion extraordinaire, pour décider de la tenue d’une enquête, conformément à l’article L.2312-13 du Code du travail :
« Le comité social et économique procède, à intervalles réguliers, à des inspections en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail. Il réalise des enquêtes en matière d’accidents du travail ou de maladies professionnelles ou à caractère professionnel. Le comité peut demander à entendre le chef d’une entreprise voisine dont l’activité expose les travailleurs de son ressort à des nuisances particulières. Il est informé des suites réservées à ses observations.
Le comité peut faire appel à titre consultatif et occasionnel au concours de toute personne de l’entreprise qui lui paraîtrait qualifiée. »
Si le CSE mène cette enquête, il est préférable qu’il y ait au moins deux élus dans la commission d’enquête.
Le CSE peut également diligenter un expert pour mener une enquête, selon les termes de l’article L.2315-94 du Code du travail :
« Le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat :
1° Lorsqu’un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement. »
L’enquête paritaire du CSE et celle de l’expert peuvent se cumuler.
Le suicide intervenu au temps et au lieu du travail bénéficie de la présomption d’imputabilité posée par l’article L.411-1 du Code de la Sécurité sociale :
« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. »
Lorsque le drame se déroule hors du temps et du lieu de travail, la présomption d’imputabilité ne s’applique pas ; il sera alors très important pendant l’enquête de rassembler un maximum d’éléments, de facteurs qui permettraient de caractériser le lien entre le suicide et le travail. Si le salarié était en arrêt maladie pour burn-out, il faudrait rassembler des éléments en ce sens : charge de travail trop importante, rythme de travail, éventuelle alerte auprès de ses collègues ou d’un élu du CSE, est-ce qu’il était suivi par un médecin… ?
Pour tenter d’établir le lien suicide – travail, il faudra enquêter auprès des personnes proches du salarié dans l’entreprise ou l’ayant côtoyé :
- Sa direction,
- Ses collègues,
- Ses amis au travail,
- Des clients, fournisseurs, qui l’auraient vu récemment.
Il faudra aussi qu’en réunion de CSE vous fassiez le point avec l’employeur pour savoir les suites données à l’enquête, et savoir le résultat de l’enquête menée par l’employeur, le nombre de suivis psychologiques, les obligations de les poursuivre…
Il sera important pour la famille du salarié de garder des traces de cette enquête : faites un compte rendu écrit et annexez-le à la réunion du CSE.
D’autres enquêtes peuvent également se superposer :
Vous pouvez également alerter l’Inspection du travail, qui aura pour mission de constater si l’employeur a commis des infractions au Code du travail et de recueillir des informations sur l’accident, afin de les transmettre si nécessaire au Procureur de la République.
Du côté de la famille, ils peuvent se rapprocher de la police ou de la gendarmerie pour déposer plainte.
La présomption d’imputabilité ne s’appliquant pas, il est peu probable que l’employeur face lui-même une déclaration d’accident du travail. En qualité d’ayants-droits, la famille de la victime peut se rapprocher de la Caisse primaire d’assurance maladie pour effectuer cette déclaration dans un délai de 2 ans. Une fois prévenue, la CPAM pourra ouvrir une enquête qui permettra de déterminer s’il existe un lien entre le travail et le suicide et ainsi le prendre en charge au titre de la législation ATMP.