Tribunal judiciaire de Paris, 30 mars 2021, n° RG 20/09805

Dans une période où le télétravail se généralise (ou du moins est censé l’être), nous sommes régulièrement interrogés sur la question de savoir si l’employeur est en droit de priver les salariés en télétravail du bénéfice des tickets-restaurant au motif qu’ils ne seraient pas « en présentiel » dans l’entreprise...

La réponse est clairement NON : l’employeur ne peut opérer une différence de traitement entre les télétravailleurs et les autres salariés, concernant le bénéfice des tickets-restaurants.

Il convient de rappeler que l’article L.1222-9 du Code du travail dispose en son alinéa 11, que :

« III.-Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise. »

Cet article de loi pose le principe général d’égalité de traitement entre salariés en télétravail et salariés en présentiel qui doivent bénéficier des mêmes droits et avantages.

Des accords nationaux interprofessionnels (ANI) du 19 juillet 2005 et du 26 novembre 2020, comprennent également des dispositions relatives à la garantie du respect du principe d’égalité de traitement.

Ensuite, sur la question précise de savoir si les télétravailleurs doivent bénéficier de titres-restaurants au même titre que les salariés en présentiel, les URSSAF ont déjà eu l’occasion de se prononcer par l’affirmative en 2015 sur leur site internet.

Dans la version mise à jour au 10 décembre 2020 des « questions-réponses » sur le télétravail, élaborées dans le contexte de l’épidémie de la Covid-19, le ministère du travail s’est prononcé dans le même sens que les URSSAF en précisant que le principe d’égalité de traitement entre télétravailleurs et salariés en présentiel relève du noyau des règles d’ordre public :

« - Les télétravailleurs bénéficient-ils des titres restaurants ?

OUI. Si les autres salariés exerçant leur activité dans l’entreprise à condition de travail équivalentes en bénéficient également. Le titre restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. En revanche, l’attribution d’un titre restaurant est possible si et seulement si le repas du salarié est compris dans son horaire de travail journalier (article R. 3262-7 du code du travail).

Toutefois, en application du principe général d’égalité de traitement entre salariés, les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise. Il s’agit d’une règle d’ordre public rappelée par l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail (art. 4) et reprise dans le code du travail, à l’article L. 1222-9 qui dispose : « le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise ».

Par conséquent, dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise, bénéficient des titres-restaurant, les télétravailleurs doivent aussi en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes. »

Enfin, c’est une décision de justice, rendue le 30 mars 2021 par le Tribunal judiciaire de Paris, qui a confirmé l’interdiction d’une différence de traitement entre salariés en présentiel et ceux en télétravail sur la question de l’attribution des titres-restaurants.

Dans cette affaire, le syndicat UNSA et le Comité social et économique (CSE) d’une entreprise parisienne ont saisi le juge judiciaire pour faire reconnaître l’existence d’une différence de traitement injustifiée.

Un point intéressant dans ce jugement doit être souligné : l’action du CSE a été considérée comme recevable, le juge ayant fait privilégier plusieurs fondements légaux possibles – ce qui n’allait pas de soi car le CSE doit justifier d’un « intérêt personnel à agir ». ?

En l’espèce, depuis le début de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19, une majorité des salariés de l’entreprise ont été placés en télétravail.

L’employeur les a informés par courriel qu’il décidait de réserver l’attribution de titres restaurants aux seuls employés sur son site et non à ceux exerçant leur activité en télétravail.

Le juge a constaté l’existence d’une différence de traitement injustifiée entre les salariés en télétravail :

« les conditions d’utilisation des titres restaurant sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ».

En conséquence, il a été jugé que « les salariés en situation de travail au sein de la société défenderesse doivent bénéficier des titres-restaurant pour chaque jour travaillé au cours duquel le repas est compris dans leur horaire de travail journalier »

Le Tribunal a condamné l’employeur à rembourser les salariés en télétravail qui auraient dû recevoir des tickets restaurant depuis le début de la crise sanitaire ! ?

Le syndicat et le CSE qui ont été à l’initiative de l’action en justice ont également été dédommagés ?

Si votre employeur exerce une différence de traitement entre salariés en télétravail et ceux en présentiel, n’hésitez pas à nous solliciter pour vous conseiller, et éventuellement intervenir pour défendre vos intérêts.