Les plateformes dites collaboratives sont ces nouvelles applications qui mettent en lien le consommateur avec une société proposant un service grâce à l’intermédiaire d’un coursier (chauffeur, livreur) présenté fictivement comme un « travailleur indépendant » jouissant d’une grande liberté.

En réalité, ces plateformes ont montré que la promesse d’indépendance faite à leurs coursiers est vaine puisque ces travailleurs se retrouvent enserrés dans la réalisation de contraintes de temps et d’objectifs, à l’image d’une relation de salariat, et qu’ils sont maintenus dans une situation de précarité (ils ne bénéficient pas de mutuelle d’entreprise, ni des dispositions protectrices du Code de travail en matière d’accident de travail, de respect de la durée légale de travail, du temps de repos, etc.).

Bien heureusement, les juges français considèrent désormais de façon unanime que les coursiers de ces plateformes ne peuvent valablement être regardés comme « travailleurs indépendants », mais bien comme des salariés.

En fin 2018, la Cour de cassation avait déjà considéré comme fictif le statut de travailleur indépendant d’un livreur de la plateforme « Take Eat Easy » en jugeant que ce dernier devait être reconnu comme salarié.

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1737_28_40778.html

Plus récemment, par un jugement du 04 février 2020, le Conseil de prud’hommes de Paris vient de requalifier le contrat de prestation de services d’un livreur Deliveroo en contrat de travail à durée indéterminée (Conseil de prud’hommes de Paris, section commerce, chambre 3, 04 février 2020, n°19/07738 : jugement non définitif).

Par une décision du 04 mars 2020, la Cour de cassation a encore reconnu qu’un chauffeur Uber est bien lié par un contrat de travail avec la plateforme.

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/374_4_44522.html

Pour parvenir à cette analyse, les juges se sont concentrés sur les conditions de réalisation de la prestation, et celles-ci font bien apparaître les éléments caractéristiques d’un « lien de subordination ».

Le lien de subordination constitue l’élément fondamental et traditionnel d’une relation de travail salarié. Il suppose que l’employeur a le pouvoir :

  • De donner des directives au salarié
  • De contrôler l’exécution de ses directives par le salarié
  • De sanctionner, le cas échéant, les manquements du salarié

Dans la relation qui lie les chauffeurs et livreurs à une plateforme, les juges ont constaté un faisceau d’indices qui permet d’établir l’existence du lien de subordination, en l’occurrence que :

  • La plateforme fixe les directives données au coursier : lorsque ce dernier se connecte à l’application, il intègre un service entièrement organisé au sein duquel il perd toute liberté puisqu’il est dans l’impossibilité de choisir librement ses tarifs, qu’il ne peut pas déterminer librement les conditions d’exercice de sa prestation de transport (il ne recherche pas ses clients, et il ne choisit pas ses fournisseurs) ;
  • La plateforme peut contrôler la qualité du travail du coursier : l’application est dotée d’un système de géolocalisation permettant son suivi en temps réel et comptabilise le nombre de kilomètres parcourus ;
  • La plateforme dispose d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier : l’application peut déconnecter temporairement le coursier à partir d’un certain nombre de refus de courses, et il peut perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de comportements problématiques ;

Dans ces conditions, on est en présence, typiquement, d’un statut déguisé de travailleur indépendant : les juges ont alors le pouvoir de rétablir la réalité de la relation en requalifiant le contrat de prestation en contrat de travail.

L’enjeu de cette « requalification » par les juges est fondamental pour que le salarié puisse bénéficier des conséquences financières de la reconnaissance de son statut de salarié, en l’occurrence et notamment :

  • Le versement des indemnités pour travail dissimulé (soit six mois de salaire)
  • Un rappel de salaire a minima du SMIC
  • Un rappel d’heures supplémentaires
  • L’indemnité de requalification (soit un mois de salaire)
  • Des dommages et intérêts pour fraude à la loi
  • Le remboursement des cotisations sociales d’autoentrepreneur
  • Le remboursement des frais de voiture et d’essence pour UBER, ou frais d’utilisation/location d’un vélo
  • Le préjudice pour absence de mise en place de mutuelle d’entreprise