Cass. soc., 18 mars 2020, n°18-10.919, PBRI

Selon un adage latin, « Idem est non esse aut non probari » : c’est la même chose de ne pas être ou ne pas être prouvé. Autrement dit, un droit sans le prouver revient à ne pas avoir de droit.

En droit commun, l’article 1353 du Code civil consacre ce principe :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. »

En droit du travail, s’agissant précisément des heures de travail, la question de la preuve se présente avec une spécificité particulière puisque les moyens de preuve qui permettent d’établir les heures de travail réellement accomplies par le salarié, se trouvent bien souvent entre les mains de l’employeur plutôt qu’entre celles du salarié…

C’est pourquoi il existe en la matière un principe de partage de la charge de la preuve entre le salarié et l’employeur, prévu à l’article L.3171-4 du Code du travail :

« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »

La jurisprudence est venue préciser la mise en œuvre concrète de cet article pour parvenir à un juste équilibre dans la charge de la preuve qui n’incombe en principe, spécialement à aucune des parties.

Il en résulte que le salarié doit d’abord fournir au juge des éléments « de nature à étayer sa demande » avec toute la difficulté que comporte l’interprétation du terme « étayer » : est-ce à dire que le salarié doit prouver l’exactitude de ses heures ou qu’il doit « seulement » apporter des éléments factuels précis ?

Par un arrêt du 20 mars 2020, la Cour de cassation a clarifié sa terminologie en considérant que le salarié n’a plus à étayer sa demande mais elle énonce que désormais :

« il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments».

Autrement dit, le salarié n’a pas à apporter d’éléments de preuve mais seulement des éléments factuels, potentiellement après la fin de la relation de travail, pouvant être établis unilatéralement par ses soins, mais revêtant un minimum de précision.

Pour information, il a déjà été jugé que sont des éléments suffisamment précis :

  • Des décomptes d’heures établis par le salarié ;
  • Des relevés de temps quotidiens ;
  • Des fiches de saisie informatique enregistrées sur l’intranet de l’employeur contenant le décompte journalier des heures travaillées

Peu importe par ailleurs que les tableaux fournis par le salarié soient produits au cours de la procédure prud’homale ou a posteriori.

A contrario, le salarié qui présente des éléments imprécis, laconiques ou sans rapport avec la période considérée, risque très certainement d’être débouté de sa demande.

Il a ainsi été jugé que le salarié n’apporte pas d’éléments suffisamment précis lorsque :

  • Il évoque des horaires imprécis et présente des tableaux fondés sur une estimation moyenne de son temps de travail
  • Il produit une feuille de pointage ne portant pas sur la période concernée

De son côté, l’employeur doit pouvoir fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires réellement accomplis par le salarié.

D’ailleurs, sur ce point, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé l’année dernière que les employeurs sont tenus de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur (CJUE, 14 mai 2019, aff. C-55/18).

En cas de désaccord avec votre employeur sur les heures réellement accomplies, le réflexe à adopter est d’élaborer un tableau précis dans lequel vous inscrivez chaque jour (avec la date du jour/mois/année) l’horaire précis d’arrivée, l’horaire de départ ainsi que les temps de pause.

L’idéal est de conserver des preuves de la réalité de ces horaires (mails d’arrivée / de départ ; relevés de badges…).

En cas de litige en justice pour demander des rappels d’heures supplémentaires, la prescription est de trois années.