Précision de jurisprudence : les règles de parité hommes/femmes ne sont pas applicables aux candidatures libres du second tour des élections professionnelles…
Cass. soc., 25 novembre 2020, n°19-60.222 FS-PBIhttps://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_sociale_576/1153_25_45975.html
Depuis la Loi Rebsamen du 17 août 2015, relative au dialogue social et à l’emploi, le principe de la représentation équilibrée des femmes et des hommes est venu s’ajouter au nombre des principes régissant les élections professionnelles du CE/ CSE.
L’entrée en vigueur de ce principe répondait à un double objectif : celui de favoriser la mixité au sein du CSE, mais également de favoriser le placement en haut de liste des candidats de sexe « faible » (c’est à dire le sexe sous-représenté sociologiquement aux élections professionnelles).
L’idée n’étant donc pas tant d’atteindre une « parité » entre le nombre d’hommes et de femmes présents sur la liste, mais plutôt d’obtenir des listes qui reflèteront au mieux la composition du collège électoral.
Depuis lors, l’article L.2314-30 du Code du travail dispose, en son alinéa 1er, que :
« Pour chaque collège électoral, les listes mentionnées à l’article L. 2314-29 qui comportent plusieurs candidats sont composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale. Les listes sont composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes. »
Les listes de candidats doivent donc respecter une double obligation :
- D’une part, une règle de proportionnalité qui signifie que la proportion d’hommes et de femmes de chaque liste électorale doit correspondre à celle du collège pour lequel ils se sont portés candidats aux élections du CSE ;
- D’autre part, une règle d’alternance s’agissant de la rédaction des listes, et selon laquelle les listes doivent être composées alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes.
La mise en œuvre de ces règles s’est révélée complexe, c’est pourquoi la Cour de cassation est intervenue à de nombreuses reprises pour apporter des précisions sur l’application du mécanisme.
En revanche, une question subsistait : celle de savoir si les règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes avaient vocation à s’appliquer aux listes de candidatures libres présentées au second tour ?
C’est précisément de cette question qu’a été saisie la Cour de cassation dans l’arrêt du 25 novembre 2020 et à laquelle elle répond par la négative : le principe de représentation équilibrée entre hommes et femmes ne s’impose qu’aux organisations syndicales et non aux candidatures libres présentées au second tour des élections du CSE…
Dans l’affaire qui a donné lieu à cet arrêt, le quorum n’ayant pas été atteint à l’issue du premier tour des élections du CSE, un second tour a dû être organisé.
Dans le cadre du 2nd tour, une liste de candidats libres constituée de 3 hommes uniquement, a été déposée, alors que le collège concerné comprenait près de 13% de femmes.
A l’issue du scrutin, un syndicat a demandé l’annulation des élus obtenus par cette liste au motif qu’elle n’était pas conforme aux règles de représentation équilibrée des femmes et des hommes, puisque selon l’article L.2314-30 (précité), la liste devait comporter au moins un candidat du sexe sous-représenté dans le collège considéré.
L’affaire a été portée jusque devant la Cour de cassation, le syndicat s’étant fié à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière.
En effet, concernant des listes de candidatures syndicales, la Cour de cassation avait déjà jugé, assez récemment, que la liste ne présentant pas un candidat du sexe sous-représenté était irrégulière ce qui entrainait l’annulation de la liste (Cass. soc., 11 décembre 2019, n°18-23.513).
Dans ces conditions, le syndicat paraissait bien fondé à se pourvoir devant la Cour de cassation pour demander l’annulation des élus issus de la liste de candidatures libres.
De façon inattendue, la Cour de cassation opte pour une autre voie, s’agissant des listes de candidats libres, par une décision dont la motivation ne manque pas de surprendre.
Alors que l’article L.2314-30 (précité) qui prévoit les règles de représentation équilibrée hommes-femmes, ne fait pas de distinction selon que la liste est présentée par une OS ou des candidats sans étiquette syndicale, la Cour de cassation force le raisonnement en se fondant sur l’interprétation de l’article L.2314-30 lors des « travaux parlementaires » :
« Les dispositions de l’article L. 2314-30, éclairées par les travaux parlementaires, s’appliquent aux organisations syndicales qui doivent, au premier tour pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes. Elles ne s’appliquent pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles. »
Par conséquent, la Cour en a conclu que « la demande d’annulation de l’élection des élus faute de respect des règles sur la représentation équilibrée des femmes et des hommes était dirigée contre une liste de candidatures libres. Les dispositions invoquées à l’appui de la demande en annulation n’étaient donc pas applicables. »
Si l’on comprend bien que les juges ont essayé de faire sauter les entraves à des candidatures au second tour afin d’éviter la vacance de sièges dès la mise en place du CSE, voire l’absence de CSE, cette décision n’en reste pas moins discutable.
Tout d’abord, la loi ayant institué le principe de représentation équilibrée des femmes-hommes en matière électorale était la mise en œuvre concrète du principe constitutionnel fixé selon lequel « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales » (article 1er alinéa 2 de la Constitution).
D’ailleurs, la Cour de cassation elle-même a déjà indiqué que le mécanisme de représentation équilibrée hommes-femmes visait le respect de « l’objectif légitime d’assurer une représentation des salariés qui reflète la réalité du corps électoral et de promouvoir l’égalité effective des sexes » (Cass. soc., 13 févr. 2019, n° 18-17.042).
Il est donc étonnant que dans le présent arrêt, les juges se soient affranchis de façon aussi de ces règles fondamentales
Enfin, quand bien même l’idée du législateur serait de favoriser les candidatures au second tour, il nous paraît difficilement justifié que les candidatures libres soient affranchies de façon totale du respect des règles rigoureuses en matière de représentation équilibrée femmes-hommes, alors que celles-ci continuent à s’imposer pour les OS…
Cet arrêt introduit à notre sens une inégalité injustifiée entre OS et candidatures libres…